• Aux origines de l'état civil... Deuxième partie : les registres des communautés juives et protestantes sous l'Ancien Régime.

    Une histoire des origines de l'état-civil ne saurait être complète sans évoquer la question des registres des communautés protestantes et juives sous l'Ancien Régime.

    1. Les registres protestants.

     

    Aux origines de l'état civil... Deuxième partie : les registres des communautés juives et protestantes sous l'Ancien Régime.

    Registres de l'Eglise réformée de Saint-Maixent (1659-1668) (source : archives départementales des Deux-Sèvres)

     

    A partir des années 1550, l'adhésion d'une partie de la population aux idées réformées, qu'elles soient luthériennes ou calvinistes, ainsi que la mise en place des premières Eglises protestantes, ne sont pas sans conséquences sur les registres paroissiaux. En effet, les huguenots éprouvent de plus en plus de difficultés à se soumettre à des formalités dont la responsabilité incombait aux curés.

    D'autant que les autorités religieuses protestantes ont édicté très tôt des règles analogues à celles qui, au siècle précédent, avaient été imposées par les évêques au clergé catholique. Ainsi, dans ses ordonnances ecclésiastiques de 1541, Jean Calvin écrit notamment qu'il est nécessaire d'enregistrer les noms des enfants baptisés, ainsi que ceux de leurs parents. Il s'agissait cependant d'une mesure essentiellement moralisatrice et policière, destinée de fait à contraindre les pères à s'occuper de leurs enfants non légitimes. En France, c'est le premier synode national protestant, en mai 1559, qui prescrit pour la première fois l'enregistrement des mariages et des baptêmes, avec pour ces derniers l'enregistrement non seulement de l'enfant lui-même, de ses parents, mais aussi des parrains des enfants baptisés. Mais il n'interdit pas encore aux protestants français de recourir aux curés pour les enregistrements des baptêmes.

    Le début des guerres de religion (1562-1598) met, de fait, fin à cette ambiguïté. L'édit de pacification d'Amboise (mars 1563), à la fin de la première guerre de religion, accorde aux réformés la liberté de culte (avec des restrictions), des temples et des ministres. Il est complété par la déclaration du 14 décembre 1563 qui porte, entre autres, sur la question des baptêmes. L'article 9 prescrit que les protestants pourront faire baptiser leurs enfants par le pasteur le plus proche de leur domicile. La déclaration de l'acte sera quant à elle faite au juge de leur ressort, qui en tiendra registre. On assiste donc ici à la naissance d'un véritable état civil avant l'heure, puisque la tenue des registres revient aux autorités judiciaires, et non pas à une autorité religieuse.

    Ni les ordonnances de Charles IX et d'Henri III sur des questions en rapport avec le protestantisme, ni l'Edit de Nantes de 1598, ni le code Michau de 1629, ne traitent des registres protestants. Il faut attendre un arrêt du Conseil de 1664, repris par une déclaration de 1669, pourqu'il soit à nouveau question de l'état civil réformé. Ces actes du pouvoir royal habilitent les ministres protestants à tenir directement registre des baptêmes et des mariages (on trouve aussi des registres pour les sépultures).  Ils obligent aussi les pasteurs à fournir chaque trimestre une copie de leurs registres aux greffes des bailliages et sénéchaussées. Cette mesure de Louis XIV n 'est pas innocente. Alors que celui-ci entend s'attaquer dès le début de son règne personnel (1661) à la question protestante, au nom de la nécessaire unité religieuse du royaume, elle s'inscrit dans un processus d'identification des protestants afin de mieux les anéantir au final.

    L'édit de Fontainebleau d'octobre 1685, qui révoque l'Edit de Nantes, fait disparaître les registres protestants, à défaut de faire totalement disparaître les réformés du royaume comme le souhaitait Louis XIV. Entre autres dispositions, il impose à l'article 8 que les enfants des protestants soient désormais baptisés et que leurs baptêmes soient enregistrés par les curés des paroisses dans lesquels ils résident. Ne sont pas abordés dans cet édit ni la question des mariages, ni celle des sépultures. Sur ce dernier point, c'est la déclaration du 11 décembre 1685 qui règle le problème : lors du décès d'un protestant, ses deux plus proches parents devront notifier celui-ci au juge royal ou seigneurial le plus proche, qui en tiendra registre. Dans les faits, cette disposition est très mal appliquée, car elle équivaut pour les protestants à une reconnaissance de leur appartenance religieuse. Or la législation prévoyait des peines très sévères à l'encontre des "nouveaux convertis" retombés dans l'hérésie, notamment la confiscation par le pouvoir royal de tous leurs biens.

    Privés après 1685 de toute existence légale, ceux qui font le choix de demeurer envers et contre tout fidèles à leur religion sans quitter le royaume n'ont d'autre solution que de rentrer dans la clandestinité : c'est le début de la période dite du "Désert" qui se prolonge jusqu'à l'édit de Tolérance pris par Louis XVI en 1787. Dans les régions où subsistent de nombreux protestants, des communautés clandestines s'organisent, avec des pasteurs, qui tiennent des registres qu'ils établissent conformément aux prescriptions des autorités synodales, le synode national de 1744 fixant des règles à cet égard.

    Cependant, la rigueur du sort des réformés s'atténue progressivement au cours du XVIIIème siècle. La déclaration royale du 9 avril 1736, relative aux registres paroissiaux et dont il a été question dans la première partie de cette série d'articles, reconnaît en effet de fait leur existence, puisqu'elle prévoit dans l'article 13 la tenue par les officiers de police de registres spéciaux, dans lesquels seront inscrits les défunts à qui la sépulture ecclésiastique est refusée, c'est-à-dire notamment les protestants ou les relaps. Ces registres devaient contenir la transcription de plusieurs actes correspondant à l'accomplissement de différentes formalités :

    1. La requête adressée au juge de police par les parents du défunt.
    2. L'ordonnance de soit-communiqué au procureur du Roi.
    3. L'ordonnance autorisant l'inhumation en terre profane.
    4. Le procès-verbal de l'enterrement signé par deux témoins catholiques.

    Ces dispositions très contraignantes sont  plutôt bien appliquées par rapport à la déclaration de décembre 1685, comme en témoignent les permis d'inhumer conservés dans plusieurs grandes villes. D'autre part, à la même époque, les tribunaux royaux adoptent une attitude de plus en plus favorable aux réformés en matière de droits civils et de successions : ainsi ils reconnaissent la légitimité des mariages conclus entre réformés dès lors qu'il y a eu contrat devant notaire, et de facto la légitimité des enfants nés de ces unions non conclues devant l'Eglise catholique.

    L'édit de Tolérance de 1787 permet d'harmoniser la législation avec la jurisprudence :

    1. Il reconnaît les mariages contractés au Désert avant l'Edit, si une déclaration en est faite devant un juge.
    2. Il rétablit l'état civil protestant tenu par les juges pour les naissances, les mariages et les décès postérieurs à la promulgation de l'Edit.
    3. Ces registres doivent être tenus en deux exemplaires, le premier conservé au siège de la juridiction, le second envoyé au greffe de la juridiction supérieure.

    Reste à aborder le cas particulier des protestants étrangers résidant en France. Ces derniers ont en effet un statut spécial : un arrêt de janvier 1686 les autorise à résider et à commercer dans le royaume, et ce malgré la Révocation de 1685. Une sépulture décente leur est assurée par l'une des clauses du traité d'Utrecht, qui met fin à la guerre de Succession d'Espagne. Des arrêts du Conseil, pris en 1720 et en 1726, accordent et réservent des cimetières aux protestants d'origine étrangère, ainsi que la tenue de registres d'inhumation par les juridictions de police. 

    Quant aux protestants qui ont quitté la France après 1685 pour les pays du Refuge (Angleterre, Provinces-Unies, Prusse et Suisse principalement), ils s'organisent souvent en communautés, autour des pasteurs qui ont été contraints à l'exil par le pouvoir royal et qui tiennent des registres pour ces Eglises du Refuge, en se conformant en la matière aux usages de leur pays d'origine.

    2. Les registres juifs.

    A la veille de la Révolution française, le royaume de France comptait environ 40 000 Juifs, principalement répartis en trois communautés :

    1. Dans le Sud-Ouest, autour des villes de Bordeaux et de Bayonne, environ 5000 Juifs sépharades, dits "portugais", descendants des marranes convertis de force au catholicisme en Espagne.
    2. Dans l'enclave pontificale (Comtat Venaissin et Etat d'Avignon), environ 2500 "Juifs du pape".
    3. En Alsace et en Lorraine, environ 30 000 Juifs ashkénazes, dit "allemands" ou "tudesques".

    D'autres communautés moins nombreuses existaient dans plusieurs villes, dont Paris, où moins d'un millier de Juifs (originaires des foyers précédents ou de pays étrangers) vivaient dans le quartier du Marais, ou encore Lyon, Montpellier, Arles, Aix-en-Provence..

    Les Juifs "portugais" se trouvaient dans la situation la plus favorable : une déclaration d'avril 1550 leur avait en effet accordé des privilèges et une liberté totale au niveau du culte. Tout comme le clergé catholique, tout comme les pasteurs protestants, les rabbins tenaient des registres, dont les plus anciens conservés actuellement datent du XVIIIème siècle. Il ne faut pas hésiter à jetter un coup d'oeil aux registres paroissiaux, car au début ces Juifs étaient officiellement catholiques.

    Les Juifs du Comtat Venaissin et d'Avignon avaient également des registres pour les circoncisions et les décès, dressés conformément à une ordonnance du vicaire et official d'Avignon en date du 6 novembre 1620. Mais ces registres ont été pendant longtemps mal tenus et pour les naissances ne prenaient en compte, par définition, que les enfants de sexe masculin. En mai 1763, l'inquisiteur général de la congrégation du Saint-Office prend une ordonnance afin de prescrire la tenue de registres de naissances, circoncisions, mariages et décès pour l'ensemble de la communauté qui se répartit dans quatre villes : Avignon, Carpentras, Cavaillon et L'Isle-sur-la-Sorgue. 

    En Alsace et en Lorraine, le sort des communautés juives était nettement moins favorable. Leur état civil fut réglementé par l'article 25 des lettres patentes du 10 juillet 1784 qui rendait obligatoire la déclaration devant le juge des naissances, mariages et décès. Les registres devaient être tenus en deux exemplaires, l'un conservé par le juge, l'autre pour le greffe du Conseil souverain d'Alsace. Cependant à Metz , un état-civil a été tenu pour les Juifs depuis 1717. On possède aussi un registre de nécrologies (17e et 18e ), des recensements et des relevés notariaux de mariage (Fleury) pour toute la Lorraine. 

    « Besoin d'aide en généalogie et en paléographie...Des sources pour retrouver ses ancêtres protestants sous l'Ancien Régime. Partie 1 : les sources aux archives départementales. »

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :